1789, « l’année sans pareille »
Les dates-clés de l’année 1789
- 5 mai : Séance royale d’ouverture des États généraux
- 17 juin : Le Tiers état s’intitule « Assemblée nationale »
- 20 juin : Serment du Jeu de Paume
- 9 juillet : proclamation de l’Assemblée nationale constituante
- 14 juillet : Prise de la Bastille
- 4 août : Abolition des privilèges
- 26 août : Vote de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
- 11 septembre : Débat à l’Assemblée sur les pouvoirs du Roi
- 5-6 octobre : Marche des Parisiens sur Versailles ; le roi et sa famille ramenés à Paris
- 2 novembre : Les biens du Clergé sont mis à la disposition de la nation
- décembre : Nouvelle organisation territoriale (création des départements et des municipalités)
À l’attention des étudiants : ce bref cours peut être complété, pour ceux qui n’auraient pas de lumières sur la Révolution française, par la lecture du petit livre de Jean-Clément Martin, La Révolution française, Paris, Mémo Histoire n° 12, Seuil, 1996, 64 pages. Les citations marquées * sont extraites de ce petit ouvrage très clair et très pédagogique.Pour l’amateur d’histoire, je signale l’excellent livre de Michel Winock écrit comme un « roman vrai », 1789, l’année sans pareille, Paris, Olivier Orban, 1988.
Sur le plan pédagogique : ce cours s’inscrit dans le programme d’histoire du cycle des approfondissements (Les temps modernes et la Révolution, page 68 des programmes de l’école primaire). Événement emblématique retenu dans ce programme : la prise de la Bastille.
Introduction
Il n’est pas question ici de revenir longuement sur les causes de la Révolution (1789-1799) (Cf. cours précédent La société française à la fin de l’Ancien Régime). Rappelons en schématisant que l’on peut distinguer des causes lointaines (le mouvement des « Lumières », l’influence des révolutions anglaise et américaine, la crise de la monarchie absolue, les difficultés économiques et financières) et des causes plus immédiates (l’échec des réformes, la révolte des privilégiés, la crise économique et sociale de 1788-89). C’est pour tenter de résoudre toutes ces difficultés que Louis XVI a été contraint de convoquer les États Généraux pour le 1er mai 1789. Finalement l’ouverture aura lieu le 5 mai à Versailles : c’est le début de la Révolution. En effet, en l’espace de quelques mois, « entre mai et août, tout l’Ancien Régime s’est effondré. En trois mois, l’espace d’une saison, dans l’été le plus extraordinaire de notre histoire, rien n’est resté de ce que les siècles et les rois, avaient constitué » (François Furet). De ce point de vue l’année 1789 peut être considérée comme une rupture capitale marquée, dans un laps de temps très court, par une triple révolution :
- institutionnelle et juridique (17 juin 89 = institution de l’Assemblée nationale qui le 7 juillet devient constituante ; Nuit du 4 août 89 = abolition des privilèges et des droits “féodaux” ; 26 août 89 = Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, véritable machine de guerre dressée contre l’Ancien Régime).
- parisienne et urbaine ou municipale (14 juillet 89 = prise de la Bastille),
- paysanne et rurale (La “Grande Peur” à partir du 20 juillet).
L’Assemblée Nationale constituante entreprend de mettre en place un nouveau régime politique qui sera, deux ans plus tard, sanctionné par la promulgation d’une Constitution le 14 septembre 1791. D’octobre à décembre 89, elle entreprend aussi une réorganisation complète du pays selon les nouveaux principes qui ne sera opérationnelle qu’en 1790. Une France nouvelle naît alors.
La fiction d’États généraux voués à la seule consolidation de la monarchie d’Ancien Régime ne dure que le temps de l’ouverture des cérémonies d’ouverture. « Dès les premiers jours, les tensions sont perceptibles entre les députés rangés par ordre. Dès le 5 mai, la désillusion est grande car le roi ne donne pas la possibilité de conduire des réformes. Les tensions vont se cristalliser sur la vérification des pouvoirs des députés, préalable indispensable à tout débat. La question peut sembler secondaire, elle va exacerber les oppositions, puisque se trouve posé le problème de l’unité ou de la diversité des ordres. Faut-il que les députés vérifient ensemble ou par ordre ? Les vœux unitaires du Tiers sont contrariés par le roi et les principaux meneurs des deux autres ordres.
Le Tiers s’intitule alors « communes », s’identifiant clairement à la totalité de la nation, ce qui marginalise les autres ordres. À partir du 12 juin, des curés décident de se joindre au Tiers, rompant les divisions institutionnelles. si bien que le 17 juin, le Tiers se proclame Assemblée nationale, dans l’attente de la réunion avec les autres ordres et en acceptant l’autorité du roi (sous la forme du « veto »). Mais aussitôt ils assurent que tous les impôts existants sont illégaux. de fait la France est ainsi dotée d’un système parlementaire.
Le roi tente de contrer cette orientation en massant des troupes autour de Versailles et en fermant la salle de réunion du Tiers. Le 20 juin, celui-ci réagit de na pas se séparer avant d’avoir établi une Constitution pour le royaume. Le 23 juin, le roi préside une séance royale, rappelant l’autorité traditionnelle dont il dispose sur ses sujets. Il admet l’essentiel des réformes (dont l’égalité fiscale) mais il maintient la division de la société par ordres et interdit la tenue, sauf exceptions, d’assemblées communes des députés. [...] Le Tiers refuse ces décisions. Le 27 juin, la majorité du clergé décide de se rallier au Tiers, suivi par les nobles. Le 27 juin, le roi invite alors les derniers députés récalcitrants à abandonner leurs positions »*. Le 7 juillet l’Assemblée nationale devient constituante, c’est-à-dire chargée d’élaborer une constitution. Désormais, le pouvoir du roi est maintenant doublé par celui de l’Assemblée.
Le roi tente un second coup de force. Il rassemble des troupes autour de Paris et « congédie, le 11 juillet, le ministre Necker, perçu comme libéral, au moment où les tensions sociales sont vives dans Paris, travaillé par des rumeurs et des peurs. Des manifestations se heurtent à des soldats le 12 juillet, débouchant sur des scènes d’insurrection le soir du 13 juillet. Le 14 juillet, une foule parisienne à la recherche d’armes et de poudre s’empare de la Bastille, prison royale à la frontière d’un faubourg populaire et symbole de l’autorité toute-puissante et de l’arbitraire du roi. Le gouverneur, de Launey, est décapité, après une fusillade qui a duré une journée et fait plus d’une centaine de morts. Le roi accepte les conséquences de ce coup de force interprété comme un soutien à l’Assemblée et reçoit, symboliquement, les clés de la ville de Paris des mains de Bailly, premier maire élu. De son côté l’Assemblée accepte la violence et ne proteste pas lorsque l’intendant de Paris st massacré avec son beau-frère »*. La nouvelle de la prise de la Bastille (elle devient un symbole) se répand dans toute la France. L’agitation débouche sur une révolution municipale : dans de nombreuses villes et bourgades, les patriotes s’emparent du pouvoir.
III La révolution dans les campagnes : La Grande Peur (mi-juillet - août 89)
Au moment où s’approche le temps de la récolte, les événements parisiens engendrent dans les campagnes une rumeur (la peur des brigands payés par les aristocrates) accompagnée de scènes de panique et de prises d’armes. Ici et là, des châteaux, des abbayes et parfois des demeures bourgeoises ou seigneuriales, sont mis à sac ou brûlés. La révolution des villes a provoqué la révolution des campagnes.
Cette panique collective qui touche les trois quarts des campagnes françaises est révélatrice des tensions sociales du monde rural ; elle manifeste une puissante poussée politique paysanne en vue d’imposer un changement de l’ordre social. Cette révolution dans les campagnes inquiète les députés pour qui la loi doit triompher du désordre.
IV La révolution des Droits (août 89)
Les troubles dans les campagnes qui menacent les propriétés - nobles ou bourgeoises - poussent les députés à agir vite et dans l’urgence. Dans la nuit du 4 août, les députés suppriment les privilèges, proposent l’égalité fiscale entre les ordres, abolissent avec compensation les droits seigneuriaux. Quelques jours plus tard, des décrets précisent ou rectifient les décisions prises durant cette nuit « magique »* : les doits seigneuriaux sont déclarés rachetables, la dîme est totalement abolie sans compensations. Les Français prennent alors conscience qu’ils entrent dans un nouveau régime politique et social. La notion d’« Ancien Régime » naît, à ce moment-là, de cette prise de conscience.
Dans la foulée les députés, qui depuis le début juillet discutent de l’élaboration de la Constitution, décident de promulguer une déclaration des Droits. Au terme de débats à la fois philosophiques et politiques, la Déclaration est votée le 26 août 1789. En 17 articles, elle met en avant plusieurs principes : égalité devant la loi, souveraineté de la nation, séparation des pouvoirs, liberté d’expression et de croyances, respect de la propriété, etc.
La promulgation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’arrête pas la marche de la révolution. Les divisions s’aggravent. le roi et une partie des députés refusent de souscrire aux innovations du mois d’août. Les débats sur la future constitution sont un bon révélateur de ces clivages politiques. Finalement « la majorité des députés élabore les grandes lignes d’une monarchie constitutionnelle, avec une seule chambre de représentants, élus par des électeurs sélectionnés par un cens, laissant au roi la possibilité d’user un veto suspensif »*. C’est donc l’autorité de l’Assemblée qui prime. Le roi, dont les pouvoirs sont réduits, refuse de signer les décrets adoptés depuis le 4 août.
Dans ce contexte de crise politique, le peuple de Paris, soumis à la pénurie et à la cherté du pain, se soulève par peur des menées contre-révolutionnaires liées par la reine. On annonce, qu’à Versailles, un banquet de soldats royaux a donné lieu à la profanation de la cocarde tricolore en présence de Marie-Antoinette. Devant l’Hôtel de ville, un cortège se forme. Une foule féminine, plus ou moins manipulée, décide de se rendre à Versailles pour chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Le 5 octobre, 6000 à 7000 manifestants sont devant le château royal. Le 6 octobre, la foule investit le château, menace directement la reine qui est obligée de se réfugier in extremis dans la chambre du roi, massacre des gardes du corps. Le roi cède à la violence et signe les décrets d’août. Les manifestants ramènent, à Paris, la famille royale qui est installée aux Tuileries. L’Assemblée déménage, à proximité, dans la salle du Manège. Désormais, le pouvoir politique est sous la menace du mouvement révolutionnaire parisien.
« La conscience de vivre en révolution marque dorénavant tous les Français et les conduit à se situer politiquement. Des marques distinctives (cocarde tricolore notamment) sont requises pour s’identifier. Les partisans de la révolution commencent à se regrouper à « gauche » du président de la Constituante, leurs opposants à « droite ». Un langage politique symbolique s’instaure »*.
Du mois d’octobre au mois de décembre 89, l’Assemblée met sur pied un édifice administratif et politique complètement renouvelé qui deviendra opérationnel l’année suivante, une réorganisation qui se veut avant tout fondatrice de l’unité de la France. Le 10 octobre, Louis XVI devient « roi des Français ». Le 20 octobre est adopté le suffrage censitaire pour les prochaines élections. Les difficultés financières, toujours persistantes, obligent à trouver des solutions. Le 2 novembre, les biens de l’Église sont mis à la disposition de la nation. L’Assemblée décide en décembre de les vendre sous le nom de « biens nationaux ». Elle entreprend aussi de résoudre la difficile question du rachat des droits seigneuriaux. Les modalités de rachat se heurteront à la contestation paysanne (émeutes et troubles en janvier 1790). À la fin du mois de décembre, sont créés de nouveaux cadres administratifs (départements, districts, communes). L’œuvre de cette réorganisation législative est considérable, elle marque la volonté d’instaurer un nouvel ordre politique dans un cadre légal, un état de droit. Mais la Révolution continue...
Jean-Paul CHABROL, tuteur-formateur P.E.1, IUFM site d’Aix. septembre 1998
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